Ce moment où mon coeur s’est émietté sur le bord du trottoir

À chaque matin où j’ouvre les yeux, une journée de plus commence, une journée de plus où je suis en vie. Une journée de plus où la danse de la vie et de la mort aura lieu dans la vie de chacune et chacun d’entre-nous. Je n’ai pas de maladie grave ni de verdict sombre qui me plane au-dessus de la tête si ce n’est qu’une garantie, celle qu’un jour mon corps arrivera à son dernier souffle. Depuis plusieurs années je me sens en paix avec ce fait, avec la certitude qu’un jour ma mort physique viendra et que je ne sais pas du tout quand je laisserai mon enveloppe physique retourner à la terre. La grande faucheuse me fascine et lorsque la Vie m’amène à soutenir un être dans ce moment de passage, j’y suis totalement, avec présence, compassion et respect.

Bien que formée en accompagnement de fin de vie humaine, c’est souvent auprès des animaux vivant leurs derniers moments que la Vie me place. Si vous en avez envie, vous pouvez d’ailleurs lire deux récits d’accompagnements ici et ici.

Toujours est-il que le 25 janvier, la Vie a urgemment réquisitionnée ma présence auprès de ma petite dernière alliée poilue, la seule de ma tribu dont je ne m’étais jamais imaginée la disparition.


crédit photo Zoé Parenteau

En 2016 je croyais ma famille complète, avec deux grandes filles volant de leurs propres ailes, deux ados à la maison, un gros Labernois (Bouddha) alors âgé de 7 ans, aux hanches et genoux capricieux, ainsi que Lulu, une grosse minette tigrée, âgée de 3 ans, gourmande et thugh, rescapée de la rue quelques années plus tôt. Mais la Vie avait une surprise pour moi. Contre toutes attentes, en juin 2016 ma tribu familiale s’agrandissait en accueillant Lili (oui oui, c’était vraiment son nom), une petite chatte tigrée de trois ans dont la propriétaire déménageait aux États-Unis. Cette petite minette élancée et timide au poil doux comme du velour et aux grands yeux verts m’a tout de suite séduite et en quelques mois s’était tissé entre elle et moi un lien très très particulier. Elle est entre autre devenue mon chat artiste, s’asseyant sur mes toiles, jouant avec mes fusains ou léchant le lait que j’appliquais en guise de glaçure sur mes sculptures de plâtre.

Même si elle avait le même âge que notre grosse Lulu que pas grand chose impressionnait, Lili a toujours été pour moi le « bébé » de la famille, ma plus petite, la petite soeur des autres.

C’est encore très irréel de parler d’elle au passé… Depuis quelques années je me suis préparée au départ éventuel de mon gros chien étant donné ses problèmes de santé. Je me suis aussi préparée à la possibilité que ma Lulu ne revienne pas d’une de ses escapades nocturnes estivales, la région étant reconnu pour sa population de pékans, prédateurs des chats domestiques. Mais Lili???

Bien sûr en la laissant aller dehors je savais que j’augmentais le facteur risque mais comment aurais-je pu lui imposer de demeurer une petite chatte uniquement de maison alors qu’elle voyait tout le reste de la maisonnée profiter de ce qui se trouvait de l’autre côté de la porte d’entrée?  Après 10 mois à l’intérieur à se familiariser avec la maison et tout le reste de la tribu, surtout avec notre chien, je lui ai donné accès à dehors, non pas sans inquiétudes maternelles et avec plusieurs précautions! Je me souviens de cette première fois où elle est sortie, sa première heure dehors où j’ai dû aller cent fois à la fenêtre en me rongeant les sangs et espérant l’apercevoir, demandant à l’Univers de veiller sur elle et de la faire rentrer rapidement. Au bout de cette heure, elle est rentrée en galopant dans la maison et est directement venue me voir pour me « raconter » tout ce qu’elle avait vu, se frottant sur mes jambes et sur ma table en faisant une multitude de miaulements que je n’avais jamais entendus auparavant. J’avais vraiment le sentiment qu’elle était comme une petite fille émerveillée et excitée de fouiner dans son nouvel environnement et qu’elle me partageait ses découvertes.

À partir de ce jour, aller dehors est devenu essentiel pour elle. Au fil des semaines elle s’est transformée et est passée de petite fille de maison à chasseuse aguerrie et experte de la grimpe, dépassant de loin notre Lulu qui avait pourtant beaucoup plus d’ancienneté qu’elle dans ces domaines! C’est aussi à partir de ce moment qu’elle et sa « soeur » se sont mis à non plus uniquement se tolérer mais à réellement jouer ensemble. Lili était ici chez-elle et régnait sur son territoire en chasseresse redoutable.  Elle était une naturelle et la nature et l’air frais sont devenus ses terrains de jeu. Elle rentrait à tous les soirs et était prête à recommencer à tous les matins. J’ai su que j’avais fait le bon choix en lui permettant de sortir dehors.

Avec l’arrivée de l’automne et des temps froids je pensais que la petite Lili élancée préférerait, tout comme la grosse Lulu qui en a vu d’autre, passer l’hiver au chaud en mode pro-confort, réservant ses sorties extérieures pour les journées moins froides. Eh bien non. Bien sûr elle passait beaucoup moins de temps dehors que durant l’été et allait beaucoup moins loin, mais elle ne pouvait s’en passer.  Même à des températures de -30 Lili demandait à sortir, même si ce n’était que pour quelques minutes assise sur le bord de la galerie.

Jeudi dernier, le 25 janvier, n’y fit pas exception. Le soleil brillait, les oiseaux chantaient et, même si le maximum atteint n’était que -12, Lili jubilait! Elle a passé l’avant-midi à sortir et rentrer, venant se frotter sur mes jambes, se réchauffer un brin et retournant en trottinant s’amuser sur son territoire. Avec le recul, j’ai l’impression qu’elle a fait ses in and out  beaucoup plus souvent qu’à l’habitude et que ses moments à l’intérieur étaient encore plus « avec nous » qu’à l’habitude. Peut-être savait-elle ce qui l’attendait… 🙁

Vers midi, aux prises avec la grippe depuis plusieurs jours, je suis montée faire une petite sieste. Une dizaine de minutes plus tard les chiens (mon gros Bouddha et Spike, le petit chihuahua de ma fille) se sont mis à japper. Je suis descendue voir ce qui se passait et j’ai remarqué cette voiture stationnée devant chez-moi. Les chiens obéissaient à mon ordre de ne plus japper mais étaient aux aguets et nerveux. J’ai vu la dame de l’auto courir chez ma voisine d’en face. Elle avait l’air très agitée et je me demandais bien ce qui se passait et qui elle était. C’est lorsqu’elle est revenue à sa voiture et s’est dirigée du côté passager que le questionnement qui m’habitait m’a poussé à m’approcher de la fenêtre.

Et c’est là que j’ai vu.

J’ai vu un chat tigré couché sur le côté dans la rue, derrière la voiture. J’ai immédiatement su que c’était une de mes minettes.  J’ai immédiatement compris ce qui se passait.

Je suis sortie en courant et dès que j’ai été assez proche et que j’ai vu les rayures plus rousses et le regard vert, mon coeur s’est émietté. C’était Lili, mon bébé, ma petite poulette, ma petite minette qui avait une place si spéciale dans mon coeur.

Elle était couchée sur le flan, les yeux en panique, la bouche ouverte, la langue sortie et le souffle étrange. Immédiatement j’ai su qu’elle ne s’en sortirait pas et que la Mort rodait. J’ai retiré le grand foulard que j’avais au cou et l’ai abrillée doucement en mettant ma main sur elle, en lui parlant et en lui disant que je restais avec elle, qu’elle n’était pas seule, que j’étais là. Elle s’est calmée un tout petit peu.

Je l’ai délicatement pris dans mes bras, ai échangé quelques mots avec la conductrice qui pleurait autant que moi puis suis rentrée avec mon petit paquet d’amour abîmé dans les bras. Je l’ai déposé sur leur grosse serviette moelleuse sur la table et me suis assise près de sa tête et lui ai parlé tout doucement, sans arrêt, en gardant une main sur elle, la rassurant, lui expliquant ce qui se passait, la remerciant d’avoir été une compagne si précieuse, lui disant avec ma voix qui brisait, qu’elle était libre de partir, que je resterais à ses côtés jusqu’à la fin, que j’étais là pour elle. Tout était tellement silencieux dans la maison. Les deux chiens ne faisaient plus aucun bruits et il m’a semblé que la Vie elle même retenait son souffle.

Même si ses blessures externes étaient très minimes, il m’était évident qu’à l’interne c’était beaucoup plus grave, que ça n’allait pas du tout. J’aurais aimé qu’elle quitte rapidement son corps dans le confort et la sécurité de sa maison. Ma grande était dans sa douche et j’ai décidé que le temps qu’elle sorte, je n’essayais pas de prendre de décision. Que pour les prochaines minutes mon seul rôle était d’être présente pour ma petite poulette.


crédit photo Andrea Dube

Ma grande Andrea est descendue et je l’ai mis au courant. Elle a passé un rapide coup de fil à sa soeur qui est technicienne animale et qui nous a envoyé, sans plus tarder, à la clinique la plus proche pour ne pas laisser Lili souffrir pour rien. Ça me brisait le coeur de devoir la déplacer et surtout de l’apporter en auto rencontrer des gens qu’elle ne connaissait pas, elle qui se poussait le plus loin et le plus rapidement possible des étrangers. Mais je réalisais également que ce qu’elle vivait actuellement comme douleur et comme incapacité de réellement bouger devait être pour elle un facteur de stress beaucoup plus élevé que de rencontrer un nouveau visage.

Nous sommes donc partis pour la clinique vétérinaire. Andrea au volant, moi tenant Lili bien emmitouflée contre mon coeur et Spike, le chihuahua d’Andrea, qui a été comme le gardien de la vibe tout au long de cette éprouvante après-midi.

À la clinique on nous a tout de suite reconduit dans leur petit salon de fin de vie, le même où ma vieille compagne avait rendu son dernier souffle il y a cinq ans. Le temps que j’allonge Lili avec sa doudou sur la petite table moelleuse, la plus gentille, douce et compatissante vétérinaire est rentrée dans la pièce avec son assistante. D’un coup d’oeil rapide elle a confirmé que c’était majeur et qu’on allait même sauter l’étape du calmant pour la libérer au plus vite.

J’étais installé à la tête de Lili et elles ont préparé sa petite cuisse arrière pour l’injection. J’ai murmuré dans ses petites oreilles poilues combien je l’aimais, que dans quelques secondes elle ne souffrirait plus et que j’étais là, tout près d’elle. Elle a bougé un tout petit peu sa patte droite pour la déposer sur le bout de ma main et, avant même que toute l’injection ait été administré, elle est morte.

Nous avons rapporté son corps à la maison et je lui ai fait un petit cercueil en transformant rapidement une boite de chaussures puis l’ai installée avec une doudou étoilée et son jouet favori. Je devais me garder occupé avec ces quelques gestes tendres et concrets parce qu’une partie de moi avait juste le goût de se coucher en petite boule avec son corps contre moi, aussi longtemps que possible. Mais une grande vague calme et enveloppante me rappelait que Lili devait être installée dans sa boîte durant qu’il était encore facile de l’installer adéquatement et de façon à ce qu’elle ait l’air confortable.

Restait à attendre le retour de mon fils pour lui annoncer la triste nouvelle. Je vous assure qu’il n’y a pas de bonnes façons d’annoncer ça. Après l’avoir mis au courant, j’ai ouvert la boîte pour lui montrer Lili et, entre deux sanglots, il m’a dit « on dirait qu’elle dort ». Ça m’a confirmé que je l’avais installée exactement comme il le fallait.

Plus tard dans la soirée, alors qu’il ne restait plus que mon jeune guerrier et moi, j’ai décidé d’écouter le besoin qui me montait et de faire une veillée du corps, avec rituel, décoration de son cercueil, musique de circonstance et beaucoup d’écriture (et de larmes) dans mon journal.

Ces quelques heures m’ont beaucoup aidée à me faire à l’idée que je ne pourrais plus jamais la flatter. Une extension temporelle avant de descendre son cercueil bien enveloppé au congélateur de la cave, en attendant que la terre dégèle et que Lili puisse être enterrée dans la forêt, près de notre Fany qui l’a précédée il y a cinq ans.

Je ne comprends pas encore pourquoi j’ai ressenti le besoin de vous raconter tout ceci avec autant de détails. Chose certaine, ça m’y replonge et m’aide à l’assimiler, mais je sens qu’il y a plus que ça. De un, si vous connaissez la conductrice qui a frappé Lili bien malgré elle, faites lui un câlin de ma part et remerciez-là pour son humanitude. Je suis profondément reconnaissante qu’elle ait pris le temps de s’arrêter et de chercher frénétiquement à quelle maison appartenait ce chat. Car si elle avait continué son chemin comme trop de gens font, je n’aurais sûrement pas vu aussi rapidement Lili gisant dans la rue et n’aurais peut-être pas pu être à ses côtés pour la rassurer et l’accompagner. Son départ  laisse un trou béant mais la synchronicité dans tout ça me réchauffe le coeur.

Et parlant de synchronicité, le soir même j’ai sorti mes journaux intimes de l’été 2016 (été où Lili a rejoint notre famille) et j’ai été estomaquée de réaliser les questionnements majeurs qui m’habitaient au moment où elle est entrée dans mon coeur et le rôle qu’elle a joué comme facilitatrice de mes décisions. Suivant la petite voix qui me soufflait à l’oreille d’aller voir ce qui s’était passée l’an dernier au 25 janvier, j’ai été encore plus stupéfaite de réaliser que la date de son départ coïncidait jour pour jour à une autre décision majeure et que ce « un an de sevrage » avait été atteint le jour même du décès de Lili. J’ai alors senti et compris. Senti à quel point notre lien avait été sacré et important et combien son rôle dans ma guérison de femme avait été mené de main (ou de patte!) de maître.

Les morceaux de mon coeur se recollent doucement. Chaque soir je regarde le ciel et me dit qu’une étoile de plus brille là-haut et qu’elle continue d’être avec moi dans l’invisible.

Certain moments sont plus douloureux. Comme le lendemain matin où lorsque mon cadran a sonné, il n’y a pas eu de petite Lili qui est venue me tapotée le visage de sa patte pour que je me lève… 🙁

On a beau savoir que tout arrive pour une raison et que nous sommes beaucoup plus que nos enveloppes physiques, un deuil reste un deuil et prend le temps qu’il prend.

Un temps que je m’offre.

À ma couleur.

Repose en paix ma minette chérie! Merci pour ce merveilleux 19 mois ensemble.
Je ne t’oublierai jamais!

Et ne sème pas trop la terreur chez les tamias rayés des grandes plaines de lumière! 😉

Mariepierre

 

10 thoughts on “Ce moment où mon coeur s’est émietté sur le bord du trottoir

  1. Quel beau et touchant témoignage Marie-Pierre! Et quelle belle plume tu as! Je comprends et compatis à ta peine et ta perte. Ces petits êtres poilus qui nous accompagnent sont si uniques et irremplaçables. Merci pour cet émouvant partage et bon courage.

  2. Merci Marie-Pierre, pour ta lumière, ta joie et ta sagesse, pour ta façon d’apporter de la lumière même au coeur de la douleur. Merci.
    (et maintenant je retourne à mes mouchoirs!)

  3. Tu me touches au plus profond de mon âme….merci de me faire voir que je ne suis pas le seul être humain avec un coeur gros comme la terre pour l’amour des animaux🌈❤

  4. Très émouvant et tellement bien dit. En lisant, je me disais qu’avec ce texte, on prend la mesure de cette richesse immense qu’est la vie sous toutes ses formes. Lili s’en est allée, oui, mais pas bien loin, j’en suis certaine! Gros bisous.

  5. Merci pour ce témoignage, très touchant et qui relate tellement bien la mission sacrée des animaux qui nous accompagnent dans la vie. Il est difficile mais combien gratifiant de l’honorer jusqu’à la fin, je crois qu’ils demeurent pas très loin, prêts à nous rappeler que la vie est douce et que l’on doit y trouver le chemin de la Joie!
    Mes sympathies….

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